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mercredi 16 mars 2011

Un peu d'atlantisme culturel

- Zoom sur "US Boy", le clip de Jena Lee, riche en enseignements -

D'abord, l'histoire est des plus touchantes : une lycéenne française débarque dans une Highschool américaine, et s'y éprend d'un joli garçon. Cependant, au fur et à mesure qu'elle prend conscience des structures sociales qui ordonnent le petit monde de ce lycée, elle comprend que ce garçon lui est inaccessible, car c'est le Quaterback, et que par conséquent il fait partie d'une aristocratie peu encline à s'intéresser à la masse des anonymes dont elle fait partie. Alors qu'elle peine à se résigner, elle tombe sous le charme d'un mystérieux inconnu, dont les attributs (guitare électrique, cuir, piercings) laissent supposer qu'il est rockeur de son état ; l'attirance est mutuelle, et la romance débute à l'occasion du bal du lycée, grand-messe de fin d'année du microcosme lycéen. L'héroïne a même la suprême satisfaction de voir qu'en réalité, le Quaterback n'était pas insensible à ses atours, et qu'il est prêt à délaisser la reine, qui lui est pourtant destinée.
Sur cette trame narrative s'insèrent des dizaines de détails révélateurs de l'attirance pour tout ce qui est américain, de la nature du modèle envié, et des éléments idéologiques qui accompagnent cette fascination. Il faut juger sur pièce :
Une highschool, c'est socialement plus structuré que la société d'ancien régime : il y a des nobles et des roturiers, du prestige et de la vilénie et surtout des choses qui ne se font pas. Le bal du lycée, qui constitue une bonne part du clip, est l'occasion de quelques tableaux qui explicitent les oppositions et les hiérarchies.

L'aristocratie masculine du lycée est constituée de basketteurs, qui portent leur uniforme sportif même lors du bal du lycée. Sur ce tableau, cinq d'entre eux, en retrait et dans des postures de seconds, entourent le primus inter patres, au premier plan avec une attitude virile et déterminée, le Quatterback (et peu importe ici qu'il n'y ait pas le quatterback dans une équipe de basket : ce n'est pas le sport qui compte, en définitive).

L'aristocratie féminine du lycée est constituée de pom-poms girls - même si ici, féminité oblige, elles ont troqué leur uniforme contre une robe de soirée. Sur ce tableau, quatre d'entre elles entourent, dans une attitude fière mais respectueuse, leur chef, la reine - dont le principal attribut est le diadème. Celle-ci, au centre et dans un halo de lumière, a une posture qui rayonne la confiance en soi et la domination ; son visage se détache d'un drapeau état-unien au second plan.
Face à ces hiérarchies, notre héroïne est un alien, rejeté (on tague sur son casier "french looser", 01'37"), qui doit revoir ses prétentions à la baisse.

Le nouvel objet de son désir échappe partiellement à cette société d'ordres ; c'est d'ailleurs en partie cette marginalité qui leur permet de se comprendre et de se rapprocher. On remarquera quand même que le rockeur, tout allogène qu'il soit, ne va pas jusqu'à refuser de poser devant le drapeau...
Mais le plus intéressant dans les affinités électives de l'héroïne est moins l'individu finalement choisi que l'idéal auquel il doit se conformer pour paraître désirable. Le refrain, en forme de manifeste, dit "US Boys sont le rêve des French Girls, on veut un american boyfriend forever" ; qu'est qu'un american boyfriend digne de ce nom ?
C'est là le plus formidable apport de la chanson : non seulement Jena Lee nous fait connaître la figure de l'homme idéal, mais en plus, dans les mêmes vers, elle explicite la genèse de cet idéal :
"Un décor à la Desperate Housewives, s’il te plait, j’vivrai là-bas juste pour l'engager comme jardinier.
(il a) un soupçon du bad boy de lost Sawyer,
(il a) la pureté de nate de Gossip Girl,
(il a) le coté chanteur-danseur de ju,ju,Justin.
(il a) Un humour à la Friends et le mystère de Fringe.
(il a) un soupçon du charme d’Aston Kutcher,
(il a) la folie de Barney dans How I met your mother.
(il a) Le coté romantique d’Edward dans Twilight,
(il a) Le talent d’Eminem et la voix de Brian McKnight."
Ce qui fait frissonner les French Girls donc - en tout cas d'après Mlle Lee - c'est un idéal tout entier constitué de références culturelles américaines. De là à considérer que l'hégémonie culturelle américaine (séries, films, musique) détermine effectivement ce qu'il y a de plus intime en nous - nos inclinaisons amoureuses - il y a certes un pas ; mais c'est cette idée qui surprend, qui frappe et qui effraye lorsque l'on regarde le clip de Jena Lee.
Accessoirement, le garçon idéal a un corps d'Apollon musculeux - malgré son jeune âge - car il occupe ses temps morts à soulever de la fonte (01'49")...
Ce torrent d'atlantisme charrie inévitablement avec lui toute une série d'éléments constitutifs de la civilisation américaine. Le drapeau, bien sur, est récurent, mais on s'attend peu à voir dans un clip pop une démonstration de militarisme ; pourtant de 02'32" à 02'46", la musique comme la chorégraphie semblent toutes droit sorties d'un clip promotionnel de l'US army...
Le tableau ci-contre, choisi parmi d'autres, fourni un exemple de cette allégorie militaire.

Enfin, il faut dire un mot sur la réalisation du clip. Le réalisateur a pris le parti de multiplier les tableaux, savamment composés, qui en disent long. Outre les quelques-uns qui illustrent l'article, on peut apprécier, respectivement en 01'02", 01'03" et 01'07", le groupe des pom-poms paradant dans le lycée, le groupe des basketteurs allant à leur rencontre et une superbe composition mettant en scène la reine entourée de ces suivantes.

On appréciera également le très sophistiqué "le quarterback m’emmènerait danser et la reine nous ferait chuuuuttt, hein" et les mimiques qui l'accompagnent (00'20"). Le clip, très expressif, montre à la manière d'une série - mais n'en est-il pas directement inspiré ? - la dispute entre les deux têtes de l'ordre social, le quaterback et la reine (03'37"), ainsi que la disgrâce qui s'en suit pour la reine aux yeux de ses suivantes (03'42").
On regrettera en revanche que "français" doive rimer avec "pensées" (01'25" à 01'29"), et que l'héroïne, française, vienne nécessairement de Paris (02'29").
Quoi qu'il en soit, on attend avec impatience les prochaines performances de Jena Lee ; et on lui souhaite que "Chinese boy" ou "Bolivian boy" ait autant de succès...
Antoine F.

1 commentaire:

  1. Antoine => je soupçonne que tu n'aime pas l'Amérique.

    C'est bien cela ?

    Tu es un ingrat qui rechigne aux bienfaits de la Pax Américana !

    Vilain pour te punir je te propose un séjour à Cuba au camp de vacance de Guantánamo afin que tu fasses ton autocritique (version moderne)

    Le barbu hirsute

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